La Boha dans les écrits

Extrait de BOHA!10, été 2006, par Jacques Baudoin.

Votre Boha sent mauvais… ? Mettez-y du « sent-bon » !

La Boha à travers les écrits de deux auteurs landais du siècle dernier.

 

Pas facile de trouver des témoignages sur une cornemuse dont la pratique s’inscrit dans une tradition orale, et encore moins dans un Pays dont la société est divisée en deux couches superposées quasi imperméables. Pourtant, deux notables landais, ethnologues amateurs, laisseront quelques écrits précieux sur cet instrument de musique dont les sons ont longtemps baigné l’Aquitaine, de la Haute à la Petite Lande. Félix Arnaudin (1844-1921) en est, bien entendu. Ce collecteur de Laboueyre décrit dans ses ouvrages la Grande-Lande de la fin du 18ème siècle à l’après guerre de 14-18 et ses enquêtes sur les chants[1] lui permettent de récolter d’inestimables données sur les coutumes et les instruments de musique. Ainsi, entre autres trésors, nous lui devons la préservation des tuhères, pihures et claroun, et le souvenir du rôle important de la bien modeste guitarra – guimbarde - Bien moins connu.

Gabriel Cabannes (1866-1958), était tout à la fois un avocat estimé à la Cour de Mont de Marsan et un grand propriétaire terrien qui vivait à Retjons, dans la Petite Lande. Pour se délasser il écrivait et son œuvre majeure la Galerie des Landais reste une référence. Grand admirateur d’Arnaudin, cet écrivain estimait son propre témoignage trop tardif pour pouvoir présenter quelque intérêt ! Heureusement il a laissé deux ouvrages de souvenirs Les Petites landes et le canton de Roquefort et Autour de la grande route de Retjons dont les anecdotes font déplorer sa regrettable modestie.

Instrument landais :

originaire des Landes ?

Dans son livre, Chants populaires de la Grande-Lande, Félix Arnaudin repousse systématiquement l’origine des instruments de musique boha comprise, à un «autre temps» et surtout un « autre lieu » !

Il hésite un peu pour le tchalemine « …L'instrument le plus ancien qu'on se souvienne avoir vu usité dans le pays, et sur certains points seulement, est une sorte de hautbois grossier, le tchalemine, (…). Que ce rudimentaire instrument ait été jadis très répandu dans notre pays landais, c'est ce que je ne suis pas en mesure d'affirmer… ». Mais, pour la cornemuse landaise la cause est entendue puisque le tchalemine « …fut délaissé bien vite lorsque se montrèrent des instruments nouveaux, d'abord la cornemuse, le bouhe, descendue des Petites-Landes et qu'on apprit promptement à confectionner dans le pays… ». D’ailleurs « … le galoubet et la cornemuse ne se répandirent pas également partout ; ils ne dépassèrent guère que par exception, vers le nord et l'ouest, les villages d'Arjuzanx, Luglon, Sabres, Commensacq, Pissos, Saugnac-et-Muret, Belin, Beliet, le Barp… ». Aucun enjeu identitaire donc autour de la boha. Pourtant elle serait facilement la candidate d’évidence pour porter le drapeau d’une « identité landaise » puisque l’aspect et le jeu de cette cornemuse « landaise » sont sans équivalent en France. Comme il faut aller chercher vers le centre de l’Europe, du côté de la Hongrie, pour trouver la duda, cornemuse de même nature, un minimum de mauvaise foi[2] suffirait à rendre la boha unique, issue de ce « Pays des Origines » cher à Arnaudin. Faute de partisans, la Boha devra, pour continuer à exister, attendre d’être, comme les échasses, récupérée par quelques folkloristes en quête d’exotisme.

Pourtant à l’époque d’Arnaudin la cornemuse sonne encore un peu partout sur la Lande puisque, dans les années 1950, G. Cabannes rappelle que « … jusque i1 y a cinquante ans environ on dansait dans nos campagnes au son soit de la musette ou cornemuse, soit de la vielle. La musette avait des noms divers « la bouhe », « la bounloure », « la tchalamine »… ». Il remplace parfois bouhe ou bouhausac par cornemuse ou musette, bien communs… Mais il est vrai que son texte s’adresse à d’autres lettrés.

Décrite par un avocat, même talentueux, l’organologie de la boha devient assez pittoresque. Ainsi Gabriel Cabannes explique que « …La musette était composée d'une chambre à air formée d'une peau de brebis dont la laine coupée ras aux ciseaux se trouvait à l'intérieur. Un petit tuyau dans le haut était destiné à l'entrée de l'air que le joueur donnait en soufflant ; un chalumeau dans le bas percé de trous permettait les différentes notes. Comme le joueur, en remplissant la poche de son souffle, y envoyait nécessairement son haleine humide, il se formait des moisissures qui dégageaient une odeur nauséabonde qui obligeait à détourner la tête de coté afin d'éviter l'air empesté qui était chassé par la pression du bras ; ceci donne l'explication du port de tête spécial du joueur de cornemuse… ». Sachant que le  « bouhayre » était souvent payé en vin directement versé dans la poche de la boha à la fin du bal, on comprend mieux ce conseil d’un témoin d’Arnaudin « A les bouhes, con trop sentiuen, qu'i metén aygues de sentou, musc…» [3] ! Pour ce qui est du son, nos écrivains landais sont pour le moins assez réservés. Ainsi F. Arnaudin rapporte que «…Ça et là, accidentellement, geignait aussi la vielle, comme la cornemuse venue des Petites-Landes, (…), assez peu prisée, (…), en raison de l'aigreur de son timbre et de ses sons mal articulés… » 



Et G. Cabannes renchérit quelques années plus tard « …La vielle aussi a été longtemps d'un usage courant pour les danses anciennes, les sons qu'elle émettait avaient quelque analogie avec ceux de la cornemuse dont elle avait le ton nasillard… » !

Pourtant, notre collectage montre que les bons musiciens accordaient soigneusement leur instrument avant de jouer en déplaçant légèrement les anches ou en bouchant plus ou moins les trous de jeu avec de la cire d’abeille à l’aide d’un petit crochet métallique fixé à la cornemuse. L’apparente simplicité de la boha, liée à l’ambitus réduit de sa gamme mélodique, cache un jeu complexe à base d’accompagnement harmonique et rythmique sur les bourdons mobiles et certaines notes mélodiques. Ce jeu en fait un instrument extrêmement riche et complet, très bien adapté au répertoire landais : « Le bouhe qu'es hort dansante se saben le mia. »[4] déclare à F. Arnaudin, Cadét de Luglon. Ce que G. Cabannes confirme, quelques décennies plus tard, « …Elle était l'instrument type pour danser ce qu'on dansait alors, et les vieux vous diront qu'elle n'a jamais été remplacée pour donner le rythme de la danse du pays, 1e rondeau… ». Irremplaçable, sans aucun doute, mais c’était avant l’arrivée de « …cette atroce machine nouvellement importée… et qu'on entend maintenant geindre au seuil de chaque maison et dans tous les bals… » et il faut bien se rendre à l’évidence,  « …L'usage de ces trois instruments, … [galoubet, fifre et cornemuse] …, persiste d'ailleurs plus ou moins dans quelques localités où n'a pas encore pénétré l'affligeant, l'odieux, le stupide accordéon… ».

Les arguments du petit diatonique ne sont pas minces, sa modernité et une finition industrielle séduisante dans un pays de « bricole, débrouille et bidouille », mais aussi son prix puisque vers 1900, un accordéon diatonique allemand 1er choix, une rangée-8 touches (le bas de gamme), coûte entre 8 et 10 F alors qu’une boha vaut de 10 à 17 F. Exclue de la vie sociale la boha, accompagnée des échasses, trouve refuge dans le folklorisme, où son aspect particulier suscite quelque intérêt. Ainsi, dès la fin du 19ème siècle, diverses cartes postales la mettent en scène ainsi les joueurs de boha de Casteljaloux ou la série de cartes sur les coutumes et le mariage landais de F. Bernède. Plus tard, dans les années 1930, des cartes du groupe folklorique landais « los basades » montrent l’un des derniers joueurs traditionnels, Jeanty Benquet, qui a parcouru une partie de l’Europe avec sa boha. Un enregistrement[5], fait lors d’un de ces déplacements, permet de connaître son style de jeu précis, nerveux, très rythmique et totalement dédié à la danse. A ces témoignages s’ajoutent les articles de journaux du début du 20ème siècle qui font état de concours de cornemuses landaises, l’un des airs imposés pour départager les musiciens étant la « Marseillaise »[6] ! Du milieu du 19ème siècle jusqu’en 1950 son aire de jeu comprend la Grande-Lande et une partie de la Petite, en gros l’actuelle Lande des pins. Tirée de l’oubli par le mouvement « Folk » des années 1980, la boha a bénéficié, entre autres, du travail de fond fait par le Conservatoire Occitan de Toulouse et sa diffusion dépasse aujourd’hui largement ce cadre historique.

Jacques Baudoin Pau, Juin 2006

Quelques sources utiles

Poésies populaires de la Gascogne Jean-François Bladé éd. G.P. Maisonneuve & Larose Paris, 1881

Chants populaires de la Grande-Lande  Félix Arnaudin H. Champion Paris, Peret & fils Bordeaux, P. Lambert Labouheyre, 1912

Félix Arnaudin, imagier de la Grande Lande Centre Régional des Lettres d’Aquitaine - L’horizon Chimérique Ultreïa - Parc naturel régional des Landes de Gascogne, 1993

Galerie des Landais Gabriel Cabannes éd. Chabas Hossegor (Landes), 1930

Les Petites landes et le canton de Roquefort G. Cabannes, 1950

Autour de la grande route de Retjons G. Cabannes, 1952
Le folklore des Landes René Cuzacq éd. Jean Lacoste Mont de Marsan 1949

Œuvres complètes (8 tomes) Félix Arnaudin éd. Confluences Parc naturel régional des Landes de Gascogne, 1994-2002

Un jour sur la grand’lande Félix Arnaudin Coll. « de mémoire » L’horizon Chimérique, 1988


[1] Voir à ce sujet « S’il te plait, dessine-moi un rondeau ! » (Trad Mag n° 88 & 89, 2003 ou CD « Aci qu’em Reis, Mossur ! », ADN 002, Ad’arron, 2003) et « Tout en faucillant les blés ! » (ADN 002, Ad’arron, 2003).

[2] Les revendications « identitaires », sinon nationalistes, en ont vue bien d’autres !

[3] Quand les bouhes sentaient trop fort, on les parfumait avec du musc.

[4] La bouhe est très dansante pour peu qu’on sache la « mener ». (exprimer dans son jeu ce qui donne envie de danser)

[5] Landes de Gascogne, la Cornemuse, collection Ocora / Radio France. 1996. enregistrement retrouvé par Lothaire Mabru.

[6], La cornemuse des Landes de Gascogne,  L. Mabru, Centre Lapios 1986