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Une cornemuse qui a "les" bourdons

Réflexions sur la tonalité et son influence dans le choix d'accompagnement - Olivier Bérard - 2006

Extrait de BOHA!12, Hiver 2006, par Olivier Bérard.

J’ai souvent été confronté, lors des cours que j’ai assumé, à la question :  « C’est quoi le bourdon ? ». Mes élèves ne se demandaient pas quelle polyphonie bizarre ils allaient jouer avec je ne sais quelle technique subversive de bourdon variable, ils se posaient la question suivante :

« Si je joue cette mélodie avec toujours la même note d’accompagnement au bourdon, quelle note me faut-il choisir ? »

Je me propose dans cet article de présenter les réponses les plus simples et les démarches les plus efficaces que je mets en œuvre pour répondre à cette question.
Je ferais cela en évitant volontairement les mots tels que fondamentale, dominante, tierce et autre mots qui sont  barbares pour la plupart des musiciens non familiarisés avec la théorie de la musique.

Les personnes familiarisées avec les modes, les tétracordes et les accords parfaits comprendront cependant avec plus de profondeur les tenants et les aboutissants de mon article.

Problématique :

Tout mon article traitera d’une cornemuse standard sans ajout dite « en  SOL » : trois possibilités de notes pour le bourdon : SOL (trou ouvert), MI (trou fermé sans rallonge du brunidéir) ou RE (trou fermé avec rallonge).
Les notes sur la partie mélodique en soulevant les doigts de bas en haut sont :

SOL - LA - SI - DO - RE - MI - FA# - SOL
Pour avoir les règles pour les autres tonalités, il faut transposer dans la tonalité de votre instrument.

Avant de rentrer dans l’explication concernant le choix des bourdons, je dois exposer une notion nécessaire à la compréhension la suite de mon article :

la "note de repos"



Préliminaire : la note de repos

Lorsque l’on veut jouer une mélodie avec une boha, il est nécessaire de se demander :

« Quelle est la note de repos de la mélodie ? »

Et pour pouvoir se poser cette question, il faut savoir ce qu’est une note de repos !

« Quand on joue une mélodie, on perçoit, en général, des moments de tension ou des moments de détente, la note de repos est la note que l’on va trouver lors des moments de détente. »

Cette définition, pour tant jolie qu’elle soit, n’est pas forcément facilement applicable, aussi il est bon d’avoir un autre repère. Dans la plupart de nos mélodies traditionnelles, nous sommes en présence d’une mélodie composée de deux phrases musicales. Bien souvent la dernière note de ces phrases musicales a un rôle essentiel dans la mélodie.

Trois situations sont possibles :

1) Soit les deux phrases ont la même dernière note, dans ce cas là,  la note de repos est cette dernière note.

2) Soit  les deux phrases n’ont pas la même note, dans ce cas, je vous propose de chercher la phrase sur laquelle vous avez envie d’arrêter de jouer, la phrase que vous allez jouer juste avant d’arrêter le morceau (en général c’est la deuxième phrase), la dernière note de cette phrase est « la note de repos ».

  

3) La mélodie que vous jouez ne rentre pas dans les deux  schémas décrits ci-dessus… Aucune des deux phrases ne finit par une note sur laquelle vous avez envie de vous arrêter... Pas de chance, il doit y avoir entre 1 et 5 % de nos airs qui sont comme ça... Surtout restez chez vous, ne prenez pas la voiture, ne toucher ni appareils électriques ni objets coupants, et peut-être, si votre chance revient, tout ira bien !

Exemples : 
Coquin de Pire : chantez la mélodie ou jouez-la sur votre cornemuse sans bourdon ou prenez la partition et rendez-vous compte que chaque phrase finie par un LA : c’est la note de repos !

Scotisha Lissada : le même procédé détermine que chaque phrase finie par un DO : c’est la note de repos !

Congo de Captieux : la première phrase finit par un LA et la deuxième phrase finit par un SOL, en ce qui me concerne j’aime finir par la deuxième phrase aussi, pour moi, la note de repos est SOL.

Borregada : la première phrase finit par un LA et la deuxième phrase finit par un SOL, en ce qui me concerne j’aime finir par la deuxième phrase aussi, pour moi, la note de repos est SOL.

Vous voilà armés pour la suite : allons découvrir comment choisir notre note de bourdon et ce faisant allons découvrir les trois modes essentiels (au moins pour moi) de notre cornemuse...



I. la note de repos est le SOL : le mode de SOL ionien.
Dans le cas où la note de repos est SOL, si nous jouons les notes une à une à partir de SOL nous avons :
SOL - LA - SI - DO - RE - MI - FA# - SOL  (cette échelle de note s’appelle SOL ionien)

Ce mode est un mode européen très répandu et comme la plupart des modes européens, sa première note et sa cinquième note sont des notes absolument essentielles : les notes SOL et RE. Ainsi je vais choisir entre le SOL et le RE pour accompagner ma mélodie. En ce qui me concerne, je vais toujours choisir la note la plus grave, ici le RE.

Congo de Captieux  note de repos SOL => RE bourdon.

Remarque : si j’utilise une technique de bourdon variable, j’alternerais entre le RE et le SOL, possibilité naturelle offerte par la boha qui met en valeur les deux notes les plus essentielles du mode de SOL ionien.

 

II. la note de repos est le LA : le mode de La dorien

Jouons les notes une à une à partir de LA :
LA - SI - DO - RE - MI - FA# - SOL - (LA) 
(cette échelle de note s’appelle LA dorien)

Ce mode européen est très répandu, sa première et sa cinquième note sont essentielles : LA et MI.

Ainsi je vais « choisir » entre le LA et le MI pour accompagner ma mélodie. Ne pouvant pas avoir de LA au bourdon, je prends le MI. Entre les deux notes essentielles j’ai pris celle qui est à la cinquième position dans la gamme.

Coquin de Pire note de repos LA => MI bourdon.

Remarque : si j’utilise le bourdon variable, j’alterne entre le MI et le SOL, mettant en valeur le MI note essentielle du mode et aussi le SOL qui correspond à une note caractéristique du mode de LA dorien.

III. la note de repos est le DO : le mode de Do lydien
(ou Do lydien plagal ou Do plagal)
DO - RE - MI - FA# - SOL - (LA - SI - DO) 
(cette échelle de note s’appelle DO lydien)

Ce mode européen est très répandu, sa première et sa cinquième note sont essentielles : DO et SOL.

Ainsi je vais « choisir » entre le DO et le SOL pour accompagner ma mélodie. Ne pouvant pas avoir de DO au bourdon, je prends le SOL. Entre les deux notes essentielles j’ai pris celle qui est à la cinquième position dans la gamme.

 

Scotishe lissée note de repos DO => SOL bourdon.

Remarque
1) En bourdon variable, j’alternerais entre SOL et MI, mettant en valeur le SOL, note essentielle du mode, et MI, qui correspond à une note caractéristique du mode de DO lydien OU (et, en général, je préfère !) j’ajouterais un artifice (brunidéir plus long) afin de pouvoir jouer les notes SOL et DO au bourdon et ainsi me retrouver avec les deux notes « essentielles » du mode de DO lydien.

2) l’accompagnement du mode de DO lydien est un peu délicat, car lorsqu’on accompagne avec un SOL, il peut arriver que l’on ait des frottements désagréables : SOL au bourdon et LA en mélodie ou encore SOL au bourdon et FA# grave à la mélodie (faites l’essai, ça dégage ! )
Le Do évite les frottements désagréables et contribue à donner une couleur vraiment différente au mode de DO lydien par rapport au mode de LA dorien quand je fais du jeu au bourdon. (si vous avez bien suivi, vous devez comprendre ma dernière phrase, sinon, parlez-en autour de vous !)



IV. conclusion

J’estime que nous avons trois modes essentiels sur la cornemuse des landes. (En fait, il y en a au moins un autre... mais l’article est déjà long !) Ces modes sont essentiellement et naturellement reconnaissables par leur note de repos, note de repos qui nous permet de trouver quelle note utiliser au bourdon pour accompagner la mélodie que l’on souhaite jouer.

EN BREF ET EN RESUME
SOL note de repos => mode SOL ionien => RE bourdon

LA  note de repos => mode LA dorien => MI bourdon

DO note de repos => mode DO lydien => SOL/DO bourdon

Je tiens, afin de clore cet article, à repréciser que je n’ai fait ici, que proposer mes réflexions et que je les ai très très grandement simplifiées.

La méthode que j’ai proposée repose sur des principes musicaux profonds que j’ai omis volontairement de présenter. De plus, je tiens à dire que les techniques de bourdons sont très vastes... j’aurais pu  poser d’autres questions et proposer d’autres démarches, conduisant à la construction d’un accompagnement complet, réalisé par une ou plusieurs techniques de bourdon variable...

 

le champs d’investigation est immense et est fonction du rendu musical que l’on veut obtenir. Plusieurs ouvrages ont étés écrits sur le sujet, mais ils ne sont pas directement adaptables à notre instrument...

je conseille, néanmoins, à tous ceux qui veulent en savoir plus, de consulter les méthodes de guitare et de heavy-métal qui comportent des explications sur les modes et sur les accords ou encore le cahier de l’APMEP traitant du sujet : « Mathématiques et Musique » ou même les ouvrages de Jacques Chailley qui traitent des modes et de l’harmonie.
En tout état de cause et si vous voulez avancer vers une maîtrise importante de la musique que vous jouez, je pense que rien ne peux remplacer un questionnement individuel et l’enseignement complet d’un professeur.

Olivier Bérard. 

N.B. Je remercie mes anciens élèves des Bohaires de Paris d’avoir pris le temps de relire mon article et de m’avoir communiqué leurs suggestions, commentaires et encouragements ;  face à cet article achevé et si vous le souhaitez, je vous invite, Bohaires de Gasconha, à réagir aussi.