Le candide qui découvre la boha est surpris de l'imprécision des termes qui la décrivent.
Cet article expose cette problématique et donne les réponses qui peuvent être y apportées.
Les termes en usage issus des années 1970, période du renouveau « folk » :
• Boha : cornemuse ancienne ou récente (s'inspirant des cornemuses autrefois jouées sur le territoire des landes de Gascogne), à anches simples, à double perce accolées dans un même morceau de bois.
• Pihet : Désignait l'ensemble comprenant les deux perces.
• Brunidèir : Désignait la rallonge amovible de la perce d'accompagnement.
Ces noms longtemps utilisés, sont-ils appropriés?
Sources des approximations et termes actuels
La provenance inconnue ou imprécises des sources de ces mots gascons conduit à plusieurs problèmes qui se sont éclairées, au moins partiellement, grâce au travail de linguistes. C’est le cas de « pihet » et « brunidèir », deux termes dont la signification étymologique gasconne, analysée par David Escarpit (méthode BdG p 137), précise clairement les fonctions sonores de l'instrument.
Pihet
Le nom de "pihet" a longtemps pâti de son ambiguïté sonore avec mot "pied" qui ressemble phonétiquement au hautbois des cornemuses françaises les plus communes (Il faut toutefois prononcer "pi-Hèt", avec un "H" sonore), alors que leurs étymologies sont radicalement différentes. En fait lo pihet est, en gascon, un son haut perché, qui "criaille". Pour un bohaire ce mot évoque aisément le son rythmique produit par le pouce sur le trou arrière de la perce « mélodique ». Par extension le nom de ce son bien spécifique désigne cette partie de l’instrument.
Brunidèir
La confusion initiale du mot « brunidèir » provient d’une image mal interprétée de l’Atlas Linguistique et ethnographique de la Gascogne de Jean Séguy.
En fait l’étude étymologique indique que ce terme définit un son grave qui « bourdonne », « ronronne ». Il désigne donc le tuyau dont l’anche sert d’assise sonore harmonique
et rythmique au « pihet » qui a un rôle essentiellement mélodique. La Méthode de boha des BdG précise : « Il a été choisi de restituer la forme
”brunidèir” (brunidey) qui correspond au gascon parlé au nord et à l’est de la Gascogne, donc dans la zone de prédilection de la boha » - David Escarpit.
Dans les années 1950-60, la rallonge du brunidèir avait déjà posé problème à Marcel Gastellu et Charles Alexandre, qui les nommèrent "les petites jambes", souscrivant à la
description anthropomorphique des cornemuses.
Des noms relatifs
Un même objet n'a pas le même nom selon sa fonction. Pour le musicien, l'instrument de musique sera un "outil", pour le danseur, il deviendra "rythme et mélodie", pour
l'importun seulement "vacarme".
Sans oublier que, selon les lieux de collecte, un même objet porte des noms différents, par exemple le balai se dit "l'escoube" ou "la barrège" à quelques acres de
distance. Et que dire des problèmes de graphie…
L’ethnomusicologie est une science récente et les publications anciennes transcrivent souvent les recherches faites par des non-spécialistes. Les risques de dérive sont donc importants entre l’objet lui-même, ce qui va être restitué par le témoin, le collecteur et finalement compris par le lecteur… La réussite relative de cette transmission complexe demande beaucoup de prudence et exige souvent la remise en question de faits qui semblaient pourtant établis.
Quel nom pour la cornemuse des landes de Gascogne ?
Selon les lieux, les époques, les collecteurs et les circonstances associées, elle a été appelée boha, boha-au-sac, bounloure, tchalemine, tchabreta, pifre, bouhigue… Alors quel nom apparaît comme étant le plus pertinent et sur quels critères ?
1- être clair
Les textes doivent bien préciser « le » mot qui distingue sans ambiguïté "les cornemuses des landes de Gascogne fabriquées avant 1950" de celles qui les ont fabriquées et utilisées ensuite ; un terme qui désigne l’objet et évite ce qui semble des approximations ou lié a des appréciations.
2 - Distinguer les différentes variantes de « bohas »
Actuellement les bohaires redécouvrent les « vertus » musicales des anciens instruments mais cherchent aussi à explorer les sonorités d’autres tonalités, des possibilités chromatiques, polyphoniques… Ils ont donc besoin de termes pour ne pas tout mélanger. D’autant que la pratique naissante des copies met en évidence que leurs « voix », peut-être unique à chacune d'entre elles, restent encore à découvrir.
3 - L’étymologie gasconne la plus fréquente
« Boha-au-sac » ou « boha au sac » qui se traduit par "souffle dans le sac" a été une expression fréquemment collectée. "Bounloure" a une étymologie similaire mais semble limitée au Bazadais, les termes "tchalemine" et "pifres", désignent également d’autres instruments à vent et prêtent à confusion, "tchabreta", limitée à la partie gasconne de la Dordogne, apparaît lié au nom de la cornemuse Périgourdine et les mots "bouhigue" et "béchigue" revêtent une consonance péjorative. Chacun de ces termes a été répertorié par les chercheurs, soit de manière à s'approcher d'une prononciation française soit selon l'écriture propre au gascon du locuteur. On trouvera notamment, les écritures "tchialemine", "chalemine", "tsiaremine"…
4 – les cornemuses européennes
Une grande partie des cornemuses européennes les nomment en référence à la poche (gaita de boto Aragon, säckpipa Suède, Düdelsack Allemagne, bagpipe Angleterre, sackpfeife / moezelsack Pays Bas / Belgique, magdeburger Sackpfeife Allemagne du XVIIème siècle…) ; cette occurrence ne saurait être fortuite !
5 – Conseil auprès d'une autorité
Nous étant imposé la nécessité de choisir un mot, quitte à devoir affronter les compromis que cela implique, nous avons sollicité l'avis de Lo Congrès permanent de la lenga occitan, afin qu'ils valident notre choix, basé notamment sur l'un des ouvrages de référence :
« bouhausàc, bouhe-au-sac : littéralement souffle dans
le sac, cornemuse, joueur de cornemuse. »
Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes
Simin Palay, 1933.
La sauvegarde de la langue occitane, dans toute la richesse de ses variantes, souvent considérées comme autant de langues authentiques, déclenche des batailles opposant la nécessité de normaliser, de rendre plus accessible, plus universel, et l'envie de ne rien sacrifier à la richesse.
Le fait d'écrire "boha" au lieu de "bouhe", en est une des conséquences. Cette graphie semble raisonnablement devoir être suivie également pour notre "mot-repère".
5 – en conclusion
Considérant les point précédemment évoqués nous employons sur ce site "boha-au-sac" masculin, invariable, comme nom générique pour désigner la cornemuse que les anciens utilisaient autrefois dans les landes de Gascogne, les autres termes étant, de préférence, limités à des citations d’ordre géographique ou historique.
Les noms "manquants"
Avant les dernières recherches sur la désignation des différentes parties de l’instrument, les chercheurs, les enseignants, les conservateurs de musée… avaient besoin de nommer ces éléments et leurs fonctions propres. Ainsi ils utilisent ou utilisaient des mots français issus de l’organologie générale des instruments vent ou des termes appartenant à des cultures utilisant des cornemuses de même nature (doubles perces, anches simples, monoxyles…).
Ainsi Marie-Barbara Le Gonidec, ethnomusicologue conservateur au MuCEM, a proposé : "Tuyau Mélodique", et "Tuyau Semi-Mélodique". Ces termes, TM et TSM, ni
« poétiques » ni gascons, ont l’avantage d’éclairer partiellement le rôle des deux perces.
(cf. page 137 de la méthode).
Faute de mieux, la partie incluant les deux perces restera appelée "pihet" 2, mais on a vu que cela désigne davantage le tuyau mélodique et rythmique aiguë de la boha. Le mot « hautbois », parfois utilisé, est à proscrire totalement puisque la famille des hautbois appartient à celle des anches doubles alors que les deux anches des bohas utilisent des anches simples.
Le nom de "boha" désigne l’ensemble de nos cornemuses des landes de Gascogne car il est la racine de la plupart des dénominations traditionnelles et consensuelles
chez
les bohaires et les facteurs de cornemuse depuis les années 1970.
Concernant les différents modèles actuels, ils sont baptisés, comme c’est la coutume, par les inventeurs (bohassa, bohalboka, replica, boha-revivaliste), et justifiés par l’usage.
La géographie de la Boha
L’usage majoritaire de ces noms est lié à leur histoire ancienne ou au revivalisme des années 1970 :
Outre le nom de boha-au-sac, déjà commenté, ceux de cornemuse des landes de Gascogne ou cornemuse landaise sont strictement liées aux landes de Gascogne précédent le début du 20ème siècle.
En effet, le territoire où a été collecté la boha correspond à une unité de paysage et de culture très spécifique (haute-landes, petites landes, landes girondines, bazadais…), et il serait erroné d’en référer à l'actuel département des Landes dont la délimitation administrative, issue de la Révolution française, inclurait indûment la boha dans la Chalosse et une partie du Pays Basque.
Bibliographie :
- Méthode de boha - Bohaires de Gasconha
- Méthode et partitions pour boha, cornemuse landaise
Yan Cozian
- Boha! 27, 28, 29 : Gastellu / Alexandre recherches inédites
- Boha!35 p10 : Sacrés noms de bohas! Jacques Baudoin
- Boha!33 : Comment tu t’appelles ? Jean-Pascal Leriche
- Actes du colloque d'Arthous 2006 : BOHA, O HER PETA LA H D’UN INSTRUMENT GASCON ! Jean-Michel Espinasse
- l’Atlas Linguistique et ethnographique de la Gascogne de Jean Séguy
- 2 Voir aussi le lien possible Pifre ?
Lo blòg deu Joan : Lo metòde nau de boha qu'ei arribat!
- 3 L'organologie anthropomorphique d'Eric Montbel