Duda et Boha

Duda, sœur ou cousine ?

La tentation est grande de voir en la duda une ainée de la boha. Les similitudes d'organologie et de décorations sont troublantes.

Toutefois, il faut se méfier des raccourcis.

Similitudes ?

Boha et duda font partie d'une famille très nombreuse de cornemuses à anches simples et à plusieurs perces dans un même "pied". De nos jours, ces types de cornemuses sont majoritaires dans l'Est européen, en Afrique du Nord et en Asie. Dans les siècles passés, cette organologie était universellement utilisée, si on se réfère à l'iconographie ancienne. À cet égard, duda et boha semblent davantage être conçues selon des principes universellement répandus.

Pourquoi la Duda ?

La comparaison boha/duda est courante. Les troupes de musiciens Hongrois, (Polonais, Croates, Serbes, Slovaques, de Bohème etc.) se produisent très régulièrement en Europe. Ils ont eu un impact certain au cours du XX° siècle, de multiples témoignages filmés, écrits ou sonores l'attestent. Le modèle était donc évident pour qui cherche une comparaison "vivante".

Il lui aurait pourtant suffit de lever les yeux vers le tympan de tel ou tel édifice religieux, et y voir de tout autant similaires cornemuse de Puivert, ou sonneur de la cathédrale de Bourges, pour ne citer que 2 exemples.

Voir l'incontournable site de Jean-Luc Matte



Les sources

Botond Bese

Au cours de la brève histoire du revival de la Boha, les sonneurs d'Europe centrale sont apparus à plusieurs reprises. En 2006, la visite d'une troupe de musicien hongrois a donné lieu à l'entrevue ci-dessous.

 

Jószef Kózak

En octobre 2014, Jószef Kózak interpellait les bohaires par la parution d'un article tentant de rapprocher "notre" boha de la cornemuse des hussards hongrois. Cet article a été traduit et commenté dans notre bulletin Boha!34 et Boha!36.

 

Paul Bouard - Anton Vranka

Dans notre bulletin Boha!38, Paul Bouard réagit sur les allégations de Jószef Kózak et met en perspective les points de vues des peuples "soumis" et des envahisseurs, opposant culture d'État et culture ethnique, l'antagonisme Magyar et Slave.



Entretien avec Botond Bese, musicien hongrois, facteur de Duda, réalisé par Jacques Baudoin, Patrice Bianco, Gaétan Polteau et Yves Pouysegur Interprète : Anico Horvath. Musicien : Botond Bese  festival « Cornemuses en Ballade » d’Uzeste le dimanche 04 juin 2006

 

Botond Bese
Botond Bese

Gaétan Polteau : Les instruments qu’il fabrique sont-ils des copies d’instruments anciens ?
Botond Bese : il y a beaucoup de cornemuses anciennes dans les musées et il est possible de les étudier, de les mesurer, de regarder comment elles sont fabriquées. Effectivement il fabrique des copies d’instrument ancien, mais il fabrique aussi des nouvelles cornemuses mais avec le même aspect, les mêmes ornementations, la même mesure etc.
Yves Pouysegur : Est-ce que la cornemuse hongroise a évolué, et est-ce que les besoins des musiciens ont changé ?
Botond Bese : La Duda n’a pas changé parce que le goût musical du peuple, des villages n’a pas beaucoup changé, c’est à dire que normalement, « traditionnellement », un sonneur de cornemuse joue tout seul. Quand il y a des groupes, c’est rare qu’un joueur de cornemuse en fasse parti, le changement est plutôt le fait qu’un sonneur joue dans un groupe plutôt que soliste, donc ce n’est pas la cornemuse et les mélodies jouées qui ont changé. Quand il y a des changements dans l’organologie, cela dépend des territoires, par exemple si on prend une cornemuse hongroise qui a été amenée par quelqu’un de Roumanie où il y a aussi une culture de cornemuses, comme les mélodies sont différentes de celles de la Hongrie, donc l’organologie a un peu changé, mais finalement, la cornemuse hongroise elle-même n’a pas beaucoup évoluée.

Yves Pouysegur : Quelle est la fonction de cette musique ?
Botond Bese : Les musiques jouées par les cornemuses hongroises sont essentiellement des musiques à danser. Ces musiques ont été préservées dans des endroits où la culture paysanne est toujours vivante jusqu’au jour d’aujourd’hui, et c’est surtout dans les régions qui ne sont pas trop développées économiquement, par exemple lors des bals ou de fêtes locales, mariages etc. Si un groupe est invité cela coûte très cher, plus cher qu’un sonneur qui joue tout seul, c’est pourquoi c’est un instrument de soliste aussi.

Yves Pouysegur : Y a-t-il eu une rupture dans leurs traditions?

Groupe de musiciens hongrois Uzeste 2006
Groupe de musiciens hongrois Uzeste 2006

Botond Bese : Dans les régions citées précédemment il n’y a pas eu de rupture du tout, comme sur la majorité du territoire, en revanche, comme le métier de berger commençait à disparaître avec la disparition des troupeaux, la cornemuse a été menacée mais pas suffisamment pour qu’il y ait une rupture. Les anciens maîtres de Duda qui étaient des bergers ont toujours su transmettre leurs savoirs. Depuis 1970 donc cette rupture de situation sociale (disparition du métier de berger) les jeunes ont commencé à s’intéresser à ces musiques donc il n’y a pas eu de rupture, la tradition a pu être sauvée tout de suite et à ce moment là des écoles de cornemuses et des départements de cornemuses à l’Université ont été crées.
Jacques Baudoin : Est-ce lié à une politique de sauvegarde des spécificités de tout l’empire soviétique, où c’était lié à ce qu’il s’est passé sur le plan Folk dans les pays occidentaux ?

Botond Bese : Au sens figuré le pouvoir soviétique y était pour quelque chose, parce que bien sûr lorsque l’on est dans un pays occupé cela réveille des sentiments nationaux, bien évidemment pour sauvegarder le patrimoine culturel, car à partir de 1945 le pays à été occupé, donc la langue russe était obligatoire, presque tout le monde était membre du parti socialiste, etc.



Duda Hongroise de Botond Bese
Duda Hongroise de Botond Bese

C’était donc une sorte d’uniformisation du pays et comme résistance passive, c’étaient les sentiments nationaux qui s’étaient réveillés dont faisaient parti la culture musicale et la cornemuse. Donc en quelque sorte le pouvoir soviétique a contribué à sauvegarder notre patrimoine culturel. La particularité de l’instrument, de la cornemuse hongroise serait les anches qui sont venues de l’Est, dans le basin des Carpates. Ce type d’anches est utilisé généralement chez les peuples du Caucase, l’Arabie, de la Turquie etc.
Gaétan Polteau : Quel bois est utilisé à la fabrication des cornemuses ?
Botond Bese : Principalement du prunier, et du buis. Si on reprend l’historique, les premières trouvailles sur les cornemuses se datent des 6ème et 7ème siècle, dans des tombeaux des peuples « Avar », des instruments bien conservés fabriqués dans des os de pattes d’oiseaux (des grues par exemple).
Jacques Baudoin : Il y a deux ‘’tubes’’ d’os d’oiseaux accolés ou 1 seul ?
Botond Bese : Dans les tombeaux les ‘’tuyaux’’ ont toujours été retrouvés côte à côte, serrés avec certainement avec une matière qui les tenait collés mais avec le temps celles-ci a disparu, mais la position dans les tombes est toujours parallèle et on a retrouvé 9 exemplaires de ce type d’instrument.

Jacques Baudoin : On trouve donc des tubes accolés, est-ce qu’il y a cette notion de 1 trou et cette notion de 5 trous ?
Botond Bese : Oui exactement pareil que la Duda.
Gaétan Polteau : Est-ce qu’il a été retrouvé les anches sur les instruments retrouvés dans les tombeaux ?
Botond Bese : Non, tout ce qu’il restait dans les vestiges et qui était fabriqué en os, comme le porte-vent ou le tube, il suppose que ces instruments anciens, au début, ne sonnaient pas avec une poche en cuir mais plutôt avec une poche de vessie de bœuf ou de vache. Ce type de cornemuse (Duda) n’est pas caractéristique à la Hongrie mais au bassin des Carpates, ça veut dire que c’est un instrument utilisé par des Croates, des Serbes, des Slovaques, des Roumains. Historiquement, ce qui est important ce n’est pas la notion d’une nation, mais l’appartenance à une couronne, à un empire. Dans le passé c’était l’Empire Austro-hongrois, voire avant, la monarchie des Rois de la Hongrie. Finalement c’était l’appartenance à cette culture là, à l’unité ethnico culturelle qui comptait. C’est pourquoi parmi les sonneurs de cornemuses hongroises, on trouve des habitants de tous ces pays qui ont le même héritage, qui habitaient cet empire là et qui ont la même culture de ce point de vue.



Bontond Bese Duda Uzeste 2006
Bontond Bese Duda Uzeste 2006

Jacques Baudoin : Est-ce qu’il y a une relation avec les plaines du Danube ?
Botond Bese : Oui, car lors des vagues de transhumances, pour les peuples venus de l’Est, la grande plaine du Danube était la dernière étape qui ressemblait vraiment aux Steppes d’Asie. C’était plat, avec des pâturages, des fleures etc. et tous ces peuples là qui venaient des Steppes sont restés là assez longtemps, ils se sont mélangés, donc finalement cette plaine était un carrefour des populations et chaque peuple a amené avec lui son instrument. Finalement c’est pourquoi sur place il y avait un mélange des peuples, un mélange culturel.
Jacques Baudoin : Si on va à Budapest ou en Hongrie, où peut-on trouver un Musée pour voir des instruments anciens?
Botond Bese : à Budapest au grand Musée National de l’Ethnologie bien sur mais aussi dans d’autres villes de province, comme Balassagyarmat. Au grand Musée National de Budapest il y a des cornemuses anciennes exposées, mais la majorité est gardée dans des dépôts, dans des réserves et n’est pas exposée. Par contre, il existe des expositions temporaires, par exemple récemment il y avait une exposition qui durait un an et demi, où une centaine de cornemuses anciennes ont été exposées. Cette exposition a été fermée en avril 2006.

Jacques Baudoin : Est-ce qu’il existe un catalogue de ces expositions ?
Botond Bese : Oui, d’ailleurs c’est possible de les commander par Internet en allant sur le site du Musée national d’Ethnologie de Budapest, (http://www.museum.hu/search/museum.asp?ID=62).
Patrice Bianco : En quoi est faite la poche de la cornemuse?
Botond Bese : Avec de la peau de chèvre, la différence de couleur entre la poche de cornemuse hongroise et celle de l’ouest-européenne est due à la procédure de préparation de la peau. En Europe occidentale la longévité de la poche était un critère important, c’est pourquoi la procédure de préparation était longue, avec différents produits.
Dans le bassin des Carpates cette cornemuse était utilisée essentiellement par des bergers, qui avaient sur place la matière première, la peau des chèvres, la longévité de la peau n’était donc pas un critère, ils ont préparé la peau avec une procédure plus simple.